Air Sénégal : une compagnie en zone de turbulences
Un ciel assombri par une dette colossale
Air Sénégal, autrefois symbole de fierté nationale, se retrouve aujourd'hui engluée dans une crise financière sans précédent. La compagnie affiche une dette vertigineuse de 100 milliards de francs CFA, répartie entre créanciers publics et privés. Selon des sources proches du dossier, 75 milliards sont dus à des structures publiques telles que l'Aéroport International Blaise Diagne (AIBD) et la Redevance pour le Développement des Infrastructures Aéroportuaires (RDIA), tandis que 25 milliards concernent des créances privées jugées critiques.
Cette situation financière alarmante est exacerbée par un capital social limité à 40 milliards de francs CFA, insuffisant pour soutenir le développement de la compagnie. Un ancien directeur général souligne : « L'État doit impérativement augmenter le capital de la compagnie ou ouvrir la porte à des investisseurs privés. Sans recapitalisation, Air Sénégal ne pourra jamais rivaliser avec ses concurrents. »
Une gestion au sol : effectifs pléthoriques et décisions controversées
Au-delà des chiffres, la gestion interne d'Air Sénégal est vivement critiquée. Avec un effectif de 600 employés pour une flotte de seulement cinq avions, la compagnie présente un ratio d'un avion pour 150 employés, bien au-delà des standards internationaux qui recommandent un ratio d'un avion pour 75 employés. Cette surcharge de personnel alourdit les charges fixes et limite la compétitivité de l'entreprise.
Le nouveau directeur général, Tidiane Ndiaye, nommé en août 2024, a entrepris des réformes ambitieuses pour redresser la situation. Parmi elles, la fermeture de six des vingt et une lignes desservies, notamment vers le Cameroun et le Gabon, effective depuis le 19 septembre 2024, dans le cadre d'une restructuration profonde visant à réduire les coûts et à optimiser les ressources.
Cependant, ces mesures suscitent des interrogations, d'autant plus que des soupçons de conflit d'intérêts pèsent sur le nouveau dirigeant. En effet, des liens étroits entre El Hadji Tidiane Ndiaye et Iris, une société privée qu'il dirige et qui représente au Sénégal plusieurs compagnies aériennes concurrentes d'Air Sénégal, notamment Air Ivoire, ont été révélés. Un responsable proche de l’Aéroport International Blaise-Diagne (AIBD) s’inquiète : « C’est un conflit d’intérêts manifeste puisque Air Ivoire et Air Sénégal opèrent sur des lignes similaires, visant les mêmes clients. Cela pose un véritable problème. »
Des choix stratégiques qui font débat
Les décisions stratégiques passées d'Air Sénégal sont également pointées du doigt. L'achat de deux Airbus A330neo, pour un coût total de 310 millions de dollars, est désormais perçu comme une erreur stratégique majeure, ces appareils étant jugés coûteux par rapport à la taille de la flotte.
De plus, la suspension des vols vers New York et trois capitales africaines, à savoir Cotonou, Douala et Libreville, à partir de la mi-septembre 2024, a entraîné une réduction de l'offre et une atteinte à la réputation de la compagnie. Ces suspensions font suite à des difficultés financières et opérationnelles, notamment des retards, des annulations de vols et des problèmes d'assistance client, qui ont érodé la confiance des passagers.
L'État sénégalais à la manœuvre : vers une recapitalisation nécessaire
Face à cette situation critique, l'intervention de l'État apparaît indispensable. À l'image de l'intervention du gouvernement français pour sauver Air France, le Sénégal devra envisager une recapitalisation massive ou une restructuration profonde. Cependant, les changements fréquents à la direction – un nouveau directeur général tous les quatre ans – n’ont jusqu’ici produit aucun résultat tangible. Cette instabilité décisionnelle, combinée à l’absence de stratégie cohérente, a contribué à la dégradation continue de la situation.
Le redressement d’Air Sénégal nécessitera des actions concrètes et courageuses, impliquant des sacrifices sociaux et financiers. Le nouveau directeur général devra faire preuve d’innovation pour sortir la compagnie de ce gouffre. Sans un soutien massif et rapide, la compagnie pourrait voir ses ambitions de devenir un acteur clé dans le ciel africain s’effondrer définitivement.
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