
Tunisie, quinze ans après le jasmin fané
Le 17 décembre 2010, un corps s’embrase à Sidi Bouzid. Mohamed Bouazizi, vendeur ambulant humilié, s’immole par le feu. Le geste est irréversible. Il met le feu à la Tunisie, puis au monde arabe. Quinze ans plus tard, l’histoire a pris un virage brutal. La dictature est revenue par les urnes. Le jasmin a séché. Reste une question, brûlante : à quoi a servi la révolution tunisienne ?
Bouazizi, ou l’acte fondateur d’un cri collectif
Tout commence par un refus. Celui de courber l’échine. Mohamed Bouazizi n’est ni militant ni idéologue. Il est pauvre. Invisible. Écrasé par l’arbitraire policier. Quand ses fruits sont saisis, quand sa dignité est piétinée, il n’a plus que son corps pour protester. Il l’offre aux flammes.
Ce geste, radical, devient un symbole. La Tunisie se soulève. Les rues grondent. Les slogans fusent. Travail, liberté, dignité nationale. Trois mots simples. Trois promesses immenses. Le régime de Ben Ali, figé dans sa corruption et sa brutalité, vacille puis s’effondre.
Pendant quelques semaines, la Tunisie donne une leçon au monde arabe. Un peuple chasse son tyran. Sans armes. Sans chef unique. L’écho traverse les frontières. Égypte, Libye, Syrie, Yémen. Le Printemps arabe est né.
Mais l’histoire n’est jamais linéaire. Elle est cruelle. Elle reprend ce qu’elle donne.
L’espoir démocratique, puis la fatigue des peuples
Après Ben Ali, la Tunisie tente l’inédit. Des élections libres. Une Constitution progressiste. Des débats. Des compromis. Moncef Marzouki devient le premier président élu démocratiquement. Une figure austère. Intègre. Critiquée. Mais symbolique.
Pourtant, très vite, le doute s’installe. L’économie stagne. Le chômage explose. Les jeunes continuent de fuir. Les élites politiques s’enlisent dans des querelles byzantines. Le peuple regarde. Attend. Puis se lasse.
La démocratie est exigeante. Elle demande du temps, de la pédagogie, de la confiance. La Tunisie n’a ni le luxe du temps ni celui de la stabilité régionale. Le terrorisme frappe. Les investisseurs reculent. L’État s’affaiblit.
C’est dans ce terreau que prospère Kaïs Saïed. Un homme seul. Un discours simple. Un rejet viscéral des partis. Il promet de rendre le pouvoir au peuple. Il le confisque.
Aujourd’hui, la Tunisie vit sous un régime autoritaire assumé. Parlement muselé. Opposants emprisonnés. Magistrature sous pression. Moncef Marzouki est en exil. Ironie tragique. Celui qui incarnait l’après-dictature est chassé par un pouvoir issu de la démocratie.
Révolution trahie ou leçon amère de l’histoire
Alors, que reste-t-il du 17 décembre ? Une date. Un mythe. Et une profonde amertume.
La révolution tunisienne n’a pas échoué parce que le peuple s’est trompé. Elle a échoué parce qu’elle a été abandonnée. Par les élites locales. Par une communauté internationale hypocrite. Par un système économique mondial qui tolère la démocratie tant qu’elle ne dérange pas.
Kaïs Saïed n’est pas une anomalie. Il est le produit d’un désespoir collectif. Quand la démocratie ne nourrit pas, l’autoritarisme rassure. Illusion dangereuse.
Quinze ans après Bouazizi, la Tunisie est à nouveau bâillonnée. Mais l’histoire n’est jamais close. Les braises couvent. Le feu peut reprendre.
La révolution du jasmin n’est pas morte. Elle est en sommeil. Et les dictatures le savent. Elles n’ont jamais le sommeil tranquille.


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