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Article: Cameroun–Guinée équatoriale : quand un contentieux de 15 ans éclate en pleine diplomatie

Cameroun–Guinée équatoriale : quand un contentieux de 15 ans éclate en pleine diplomatie
Cameroun

Cameroun–Guinée équatoriale : quand un contentieux de 15 ans éclate en pleine diplomatie

Un litige oublié refait surface et menace de faire imploser les relations entre Malabo et Yaoundé. Une proche du couple présidentiel camerounais manœuvre pour saisir le yacht du vice-président équato-guinéen. Ce n’est plus un différend juridique : c’est une guerre froide, maquillée en procédure judiciaire.

Un vieux conflit, une cible flamboyante

L’affaire remonte aux années 2009–2010. Un contentieux entre des entreprises camerounaises et des entités équato-guinéennes avait été tranché par un arbitrage international, resté lettre morte. Quinze ans plus tard, Sylvana Combet, figure influente de l’entourage présidentiel camerounais, exhume ce jugement pour lancer, fin 2024, une procédure de saisie contre le yacht « Ebony Shine », fleuron flottant de Teodorin Obiang, vice-président de Guinée équatoriale.

La manœuvre s’appuie sur une décision de la Chambre de commerce internationale. Un outil juridique classique, mais dans ce contexte, une arme de destruction diplomatique. Car derrière l’emballage légal, c’est bien une démonstration de force.

L’ebony shine, icône d’un pouvoir clinquant

Le yacht en question n’est pas qu’un bien de luxe : c’est un étendard du pouvoir équato-guinéen. Teodorin Obiang, déjà épinglé pour biens mal acquis en France, en Suisse ou en Afrique du Sud, voit aujourd’hui un État africain s’en prendre directement à ses biens. Une première.

La saisie viserait à frapper là où ça fait mal : dans l’image, le prestige, la fierté du clan Obiang. Derrière cette offensive, Sylvana Combet incarne une diplomatie parallèle, où les intérêts privés du premier cercle se fondent dans des procédures internationales. Ce n’est pas l’État qui attaque un autre État. C’est un clan qui lance un coup de filet sous robe judiciaire.

Frictions silencieuses mais persistantes dans la CEMAC

Officiellement, le Cameroun reste dans les clous. Il s’appuie sur une décision arbitrale. Mais pour la Guinée équatoriale, cette action est une gifle. Les deux pays, membres d’une même union monétaire et douanière, voient leur coopération menacée par cette offensive qui court-circuite les usages diplomatiques.

Yaoundé, silencieuse en façade, agit par canaux officieux. À Malabo, la colère est palpable. Car la symbolique est brutale : pour la première fois, un yacht d’un vice-président africain pourrait être saisi non par la justice occidentale, mais par un voisin africain. Une humiliation insupportable pour le régime Obiang.

Une opération risquée

Le Cameroun joue gros. S’il impose cette décision, il affirme sa puissance juridique et sa volonté de ne plus subir. Mais il prend aussi le risque d’une riposte. La Guinée équatoriale pourrait à son tour s’attaquer aux avoirs camerounais sur son sol. L’équilibre déjà fragile de la CEMAC serait gravement compromis.

Ce précédent pourrait faire école, avec à la clé une judiciarisation des rapports régionaux. Et un climat d’insécurité pour les investisseurs, qui verront dans ces procédures une instabilité déguisée.

Deux visages, un même cynisme

Combet contre Teodorin : ce duel met en lumière les ambiguïtés du pouvoir en Afrique centrale. Elle, lobbyiste sans mandat officiel mais toute-puissante dans l’ombre. Lui, héritier extravagant, vice-président d’un régime patrimonial.

Tous deux incarnent un pouvoir clanique, personnalisé, qui détourne les outils juridiques à des fins privées. Derrière cette affaire, il ne s’agit pas de justice. Il s’agit de contrôle, de revanche, de suprématie régionale. Le droit n’est plus qu’un déguisement.

Vers l’irréversible ?

Une saisie effective constituerait une rupture inédite : un État africain imposant à un autre une décision internationale sur un bien d’apparat, via un tiers privé. Jamais vu. Et potentiellement explosif. Si la logique s’installe, c’est toute la stabilité régionale qui pourrait se fissurer sous l’effet de contentieux ressuscités.

Déjà, à Malabo, certains parlent d’hostilité calculée. À Yaoundé, on évoque une stricte exécution de justice. Mais les mots ne suffiront pas à éviter l’escalade.

La diplomatie à bout de souffle

Le fil qui relie encore les deux capitales est prêt à céder. Les ambassades communiquent, les accords tiennent... mais plus pour longtemps. Chaque camp interprète les faits selon son prisme. L’un voit un coup d’État judiciaire. L’autre, un retour légitime sur investissement.

La moindre étincelle suffira. Une conférence avortée, une interview malheureuse, une saisie exécutée à Douala. Et ce conflit, jusqu’ici tapi dans l’ombre, éclatera au grand jour. En Afrique centrale, la diplomatie tient souvent à peu de chose. Cette fois, c’est un yacht qui menace tout l’édifice.

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