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Article: Muhoozi ressuscite Kale Kayihura : quand l’Ouganda rejoue sa vieille partition sécuritaire

Muhoozi ressuscite Kale Kayihura : quand l’Ouganda rejoue sa vieille partition sécuritaire
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Muhoozi ressuscite Kale Kayihura : quand l’Ouganda rejoue sa vieille partition sécuritaire

Le retour d’un fantôme encombrant

Il y a cinq ans encore, Kale Kayihura était l’homme à abattre. Ancien inspecteur général de la police, serviteur fidèle de Museveni pendant plus d’une décennie, il avait fini par incarner la dérive autoritaire du régime : brutalités policières, enlèvements de réfugiés rwandais, accusations de torture. L’homme fort de la police s’effondre en 2018, limogé sans ménagement, traduit devant la cour martiale, humilié publiquement. Washington enfonce le clou en lui imposant des sanctions personnelles, le décrivant comme l’un des visages les plus sombres des atteintes aux droits humains en Ouganda.

On le croyait fini, assigné à résidence dans sa ferme de Lyantonde, réduit à un silence contraint. Mais en Ouganda, la mémoire des vaincus ne s’efface jamais tout à fait : elle attend, tapie, qu’un changement de vent la ranime. Ce vent a désormais un nom : Muhoozi Kainerugaba.

Muhoozi, le fils qui se prépare à régner

Chef d’état-major des armées depuis 2024, Muhoozi n’est pas seulement le fils aîné du président Yoweri Museveni. Il est surtout l’héritier présumé, le dauphin impatient, celui qui se projette déjà dans l’après-Museveni. Sa stratégie est simple : s’entourer de figures loyales, parfois décriées, mais qui lui garantissent une base sécuritaire solide.

C’est dans ce contexte que Kale Kayihura a refait surface. Désormais réhabilité, délesté des charges qui pesaient sur lui, il a commencé à apparaître de nouveau en public. Pas dans des rôles militaires de premier plan, mais dans ces fonctions grises, intermédiaires, où se décide l’essentiel : représenter l’Ouganda dans des rencontres diplomatiques, conseiller sur les relations sécuritaires, accompagner le chef des forces armées dans ses initiatives internationales.

Le geste est calculé. En s’affichant avec Kayihura, Muhoozi ne cherche pas seulement à recycler un fidèle. Il veut envoyer un message : il a la capacité de pardonner, de domestiquer les vieilles ombres, et surtout d’utiliser leur savoir-faire pour ses propres ambitions.

Le fil rwandais qui relie les deux hommes

Un détail intrigue particulièrement les observateurs : la proximité de Muhoozi et de Kayihura avec le Rwanda. Les deux hommes, chacun à leur manière, cultivent une relation singulière avec Kigali.

Muhoozi n’a jamais caché son admiration pour Paul Kagame, qu’il considère comme un mentor militaire et un allié stratégique. Il fut même l’artisan principal de la réconciliation entre Kampala et Kigali après les années de brouille et de frontières fermées.

Kayihura, de son côté, porte un autre type de lien : plus discret, plus intime. Sa femme est d’origine rwandaise, et son réseau social, familial et politique l’a toujours rapproché de l’élite de Kigali. Quand il était chef de la police, nombre de ses décisions controversées concernaient justement la gestion des exilés rwandais en Ouganda, entre extraditions suspectes et disparitions mystérieuses.

Aujourd’hui, leur tandem renvoie une image claire : le futur pouvoir ougandais, celui que Muhoozi tente d’installer pierre après pierre, comptera sur un axe privilégié avec Kigali. Quitte à réveiller les fantômes du passé.

Réhabilitation ou provocation ?

Mais cette réintégration progressive de Kayihura n’est pas sans conséquences. Les associations de défense des droits humains dénoncent déjà un « blanchiment » inacceptable. Comment oublier que l’homme fut un rouage central d’un système policier marqué par la brutalité ? Comment présenter comme un conseiller respectable celui qui fut sanctionné par les États-Unis pour violation massive des droits humains ?

À l’intérieur même de l’appareil sécuritaire ougandais, certains voient dans ce retour une provocation. De nombreux officiers avaient applaudi son éviction en 2018, y voyant une respiration nécessaire après des années d’omnipotence. Le réintroduire aujourd’hui, c’est réveiller des rancunes, réactiver des rivalités enfouies.

Muhoozi, lui, joue l’équilibriste. Il sait que Kayihura reste un homme polarisant. Mais dans sa logique de consolidation du pouvoir, cette polarisation est une arme. Plus Kayihura cristallise les critiques, plus il devient l’emblème d’une nouvelle ère où la loyauté personnelle prime sur la morale politique.

Ce que cela dit du futur

En réalité, la résurrection politique de Kale Kayihura raconte moins son destin individuel que la trajectoire du régime lui-même. Museveni avait choisi de sacrifier son fidèle général pour apaiser les tensions, sauver l’image d’un État sous pression internationale. Son fils, lui, choisit de le ressusciter pour consolider son propre projet.

Ce retour est donc un miroir : il reflète la mutation d’un pouvoir où la succession n’est plus un tabou, où les alliances sont redessinées autour de Muhoozi, et où les vieilles figures déchues servent désormais d’outils pour préparer l’après-Museveni.

L’Ouganda n’a pas fini d’être gouverné par ses fantômes.

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