Ramaphosa hors de portée : comment le président sud-africain a esquivé les poursuites pour le "Farmgate"
Le président sud-africain Cyril Ramaphosa vient d’éviter les poursuites judiciaires dans l'affaire controversée du "Farmgate", un scandale qui a entaché son mandat. Accusé d’avoir dissimulé le vol d’une somme astronomique d’argent liquide dissimulée dans sa ferme privée de Phala Phala, en 2020, Ramaphosa voit ainsi l'épée de Damoclès s'éloigner. La décision du parquet national de ne pas le poursuivre suscite cependant des réactions contrastées. Dans un pays rongé par la corruption, nombreux sont ceux qui s’interrogent : cette décision marque-t-elle un triomphe de la justice ou un camouflet pour la démocratie sud-africaine ?
Une enquête qui s’effondre
L’affaire "Farmgate" a explosé en juin 2022, lorsqu'un ancien chef des services de sécurité, Arthur Fraser, a révélé qu'une somme d’environ 580 000 dollars en liquide avait été volée dans la résidence privée de Ramaphosa, et que ce dernier aurait dissimulé le vol aux autorités pour éviter l’embarras. La question qui a immédiatement surgi était simple : que faisait une telle somme d’argent liquide dans une ferme présidentielle ? Pire, les circonstances du vol, la non-déclaration à la police et les allégations de torture des suspects ont alimenté les théories les plus sulfureuses.
Après des mois d'enquête, le Directeur des poursuites publiques (NPA) a déclaré qu'il n'y avait pas suffisamment de preuves pour engager des poursuites pénales contre Ramaphosa. D’après l'organisme, les preuves recueillies ne justifiaient pas un procès, et il n'y avait pas de preuves substantielles de blanchiment d’argent. L’enquête s’est révélée être un château de cartes, mais il est clair que les Sud-Africains ne digèrent pas cette conclusion avec la même facilité.
Le problème, c’est qu’au-delà des preuves ou de leur absence, il s’agit aussi d’une affaire d’éthique et de perception publique. Les adversaires politiques de Ramaphosa et une grande partie de l’opinion publique ne voient dans ce dénouement qu’un nouvel exemple de la justice à deux vitesses qui continue de miner le pays.
Ramaphosa, l’homme providentiel ou l’homme intouchable ?
Le "Farmgate" a révélé les contradictions du président Ramaphosa. Arrivé au pouvoir en 2018 avec la promesse de combattre la corruption, il a dû faire face à un scandale qui a terni l'image d'un dirigeant autrefois perçu comme l’homme de la situation pour redresser un pays gangréné par les scandales de l’ère Zuma. Cette affaire a profondément divisé l’ANC, le parti au pouvoir, et alimenté les tensions internes.
Certains voient dans cette issue un retour à la "normalité" d'un parti qui protège ses propres membres, comme il l’a fait par le passé avec Jacob Zuma. D’autres estiment que l'absence de poursuites contre Ramaphosa ne fait que confirmer la dérive oligarchique du système judiciaire sud-africain, qui semble hésiter à s'en prendre aux puissants. En clair, pour nombre de Sud-Africains, Ramaphosa reste coupable, non pas sur la base des preuves, mais parce que le président est perçu comme un symbole d'une élite corrompue qui continue de prospérer au détriment du peuple.
Ramaphosa, lui, a toujours affirmé qu'il n’avait rien à se reprocher. Selon sa version, l’argent volé provenait de la vente de gibier de sa ferme, une explication qui n’a pas suffi à convaincre tout le monde. En refusant de démissionner face aux appels de l'opposition, il a joué la carte de la persévérance, espérant que le temps finirait par effacer les soupçons. Il est probable que cette non-poursuite renforcera sa position politique à court terme, mais à long terme, l'affaire continuera de le hanter, surtout en perspective des élections de 2024 où son image sera une question centrale.
Une justice sélective, le fléau de la démocratie sud-africaine
Le "Farmgate" rappelle un problème profondément enraciné en Afrique du Sud : l’idée que la justice ne s'applique pas à tout le monde de la même manière. Lorsqu’il s’agit de l’homme ordinaire, les sanctions sont rapides et implacables ; lorsqu’il s’agit des puissants, les procédures traînent, les preuves "disparaissent" et les affaires s’éternisent. Les précédents sont nombreux, et le cas de Jacob Zuma reste emblématique. Ce dernier a vu ses poursuites pour corruption traîner en longueur pendant des années, malgré les preuves accablantes.
Le cas Ramaphosa risque donc de laisser un goût amer dans la bouche des Sud-Africains, pour qui ce non-lieu pourrait être perçu comme un abandon des principes de transparence et d’intégrité sur lesquels le président avait bâti sa réputation. Le message envoyé est clair : les règles qui s’appliquent à vous ne sont pas forcément les mêmes pour ceux qui gouvernent. Cette impunité institutionnalisée risque d'affaiblir encore plus la confiance du public envers le système judiciaire et le gouvernement.
La décision de ne pas poursuivre Ramaphosa pourrait aussi avoir des implications politiques plus larges. Les électeurs fatigués par les scandales successifs et la mauvaise gouvernance pourraient se tourner vers des partis d’opposition, comme les Economic Freedom Fighters (EFF) ou l'Alliance Démocratique (DA), qui ont déjà commencé à utiliser cette affaire comme un levier pour attaquer l’ANC en vue des prochaines élections générales.
L'après "Farmgate" : réhabilitation ou éternelle suspicion ?
Ramaphosa peut souffler pour l’instant, mais l'affaire "Farmgate" laissera des traces indélébiles sur son parcours. Pour beaucoup, ce non-lieu est un signe de l’influence qu’il continue de peser sur les institutions sud-africaines. Pour d'autres, c’est un simple répit dans une carrière politique désormais entachée par le doute. En 2024, lorsque les électeurs se rendront aux urnes, l'ombre du "Farmgate" planera sans aucun doute sur les esprits, et il sera difficile pour le président d'échapper aux questions persistantes sur sa probité.
Les Sud-Africains devront décider s’ils sont prêts à pardonner à un président qui promettait d’être le champion de la lutte contre la corruption, mais qui s’est retrouvé à naviguer dans les eaux troubles du "Farmgate". La justice a peut-être tranché, mais l’opinion publique, elle, semble encore loin d’avoir rendu son verdict.
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