Mali : l’incertitude grandit autour des figures politiques détenues depuis juin
Plus de quatre mois se sont écoulés depuis l’arrestation de onze figures clés de la scène politique malienne, membres de la « Déclaration du 31 mars » – une coalition appelant au retour à l’ordre constitutionnel. Accusés de « s’opposer à l’exercice de l’autorité légitime », ils sont emprisonnés depuis le 20 juin 2024 et répartis dans trois prisons à travers le pays. Alors que les tentatives de médiation n’ont pas abouti et que le parquet refuse toute libération provisoire, l’incertitude grandit pour leurs proches et alliés, nourrissant des sentiments de frustration et de désillusion.
Un blocage politique et judiciaire
Les détenus de la « Déclaration du 31 mars » se sont rassemblés en juin 2024, malgré la suspension officielle des activités politiques au Mali, une décision décrétée par les autorités de transition. Cette réunion leur a valu des accusations de tentative d’opposition à l’autorité, un prétexte que certains de leurs partisans qualifient d’injuste et de répression politique. Depuis, leurs proches dénoncent un acharnement des autorités pour retarder leur libération.
En septembre, un juge d'instruction avait ordonné leur libération provisoire, mais cette décision a été contestée par le procureur, renvoyant ainsi le dossier devant la Cour d’appel. À ce jour, l’audience n’a toujours pas été programmée. Un avocat de la défense déplore cette absence de délai clair, laissant les détenus dans un flou juridique, sans horizon précis : « Juridiquement, ils doivent être libérés. Mais notre justice est-elle suffisamment libre et indépendante pour dire le droit ? » s’interroge-t-il.
L’attente d’un « geste politique » ?
Certains proches des détenus estiment que les autorités de transition pourraient attendre le moment opportun pour agir, cherchant peut-être à tirer parti de cette situation à des fins politiques. « Peut-être qu’ils attendent d’avoir finalisé la Charte nationale pour la réconciliation, ou même d’organiser des élections, pour faire un geste symbolique en libérant nos camarades », confie une source proche du dossier. Ces hypothèses traduisent un désarroi croissant parmi les proches et les partisans des détenus, qui déplorent l’instrumentalisation politique de la justice malienne.
La Charte pour la paix et la réconciliation, projet phare du gouvernement de transition, vise officiellement à préparer le pays à des élections qui mettraient fin au régime militaire en place. Toutefois, les lenteurs et la méfiance entourant cette initiative freinent l'adhésion de la société civile, tandis que la situation des détenus politiques demeure un point sensible qui pourrait peser sur la perception de la transition.
Vers un soutien populaire ?
Face à l’impasse judiciaire, les organisations signataires de la Déclaration du 31 mars envisagent de changer de stratégie. Plusieurs d'entre elles prévoient des actions publiques pour mobiliser l’opinion malienne en faveur des détenus. Parmi les initiatives, le Mouvement Reconstruire – Baara ni yiriwa de Mahamadou Konaté et le parti Yelema de l'ancien Premier ministre Moussa Mara ont lancé un appel aux Maliens pour une action symbolique : « trois minutes de pause » lundi prochain à 11 heures, durant lesquelles les citoyens pourront prier ou diffuser des messages de soutien aux prisonniers politiques.
Ces leaders ne sont pas les seuls visés par la répression. Parmi les autres figures actuellement emprisonnées figurent le chroniqueur radio Ras Bath, la blogueuse et activiste Rose Vie Chère, le militant associatif Clément Dembélé, et l’économiste Étienne Fakaba Sissoko. Tous ont en commun d’avoir critiqué publiquement les autorités de transition. La multiplication de ces détentions suscite l’inquiétude d’une partie de la société civile et renforce le climat de méfiance envers le gouvernement de transition, qui semble de plus en plus répressif envers les voix dissidentes.
La situation des prisonniers d’opinion, reflet d’une justice en crise
La détention prolongée de ces figures politiques et de la société civile reflète un climat politique tendu et met en lumière les difficultés de la justice malienne à affirmer son indépendance. Pour de nombreux observateurs, l’absence de progrès vers leur libération témoigne d’une instrumentalisation judiciaire où la justice est utilisée pour étouffer la contestation et conserver le pouvoir. Cette situation vient éroder la confiance de la population envers les institutions, qui espérait voir émerger des réformes après les promesses de transition.
La situation de ces détenus met également en relief les défis auxquels fait face la transition malienne, prise entre un besoin de stabilité et des promesses de démocratie. En prolongeant l’incertitude et en multipliant les manœuvres dilatoires, les autorités de transition risquent de s’aliéner une frange croissante de la population, frustrée par l'absence de progrès vers la justice et la liberté d'expression.
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