Bébés nigérians jetés dans les rivières : rite initiatique ou relique d'un autre temps chez les Ijaw et les Yoruba ?
Il est des pratiques culturelles qui défient la compréhension moderne. Parmi celles-ci, une tradition curieuse et controversée au Nigéria suscite intrigue et incompréhension : jeter des bébés dans les rivières. Ce rituel, observé par les Ijaw et parfois les Ilaje, intrigue par ses origines mystérieuses et ses symboliques multiples. À première vue choquante, cette coutume n’a pourtant rien de morbide, selon ceux qui la pratiquent.
À Bolowo, dans l'État d’Ondo, Cheif Tansemi, une figure respectée de la communauté, se dresse contre les jugements hâtifs : "C’est un acte qui relie nos enfants à l’eau, élément central de notre survie." Mais d'où vient donc cette tradition qui semble marcher sur la ligne floue entre l’ancien et le contemporain ?
L'eau, souffle vital chez les Ijaw
Les Ijaw sont l'une des plus anciennes tribus du Nigéria, vivant principalement dans les régions fluviales du delta du Niger. Leur relation avec l’eau va bien au-delà du simple besoin physique ; elle est ancrée dans leurs croyances, leur spiritualité et leur mode de vie. Pour eux, l'eau est un symbole de fertilité, de vie, et tout nouveau-né doit être présenté à cet élément qui façonne l’identité du peuple. Loin d’un baptême chrétien, cette immersion rituelle cherche à familiariser l’enfant avec cet environnement essentiel à leur survie.
Le rite est exécuté avec précision et soins. Pas question de simplement jeter un nourrisson dans les flots tumultueux d’une rivière. Au contraire, les bébés sont introduits dans l’eau autour de l’âge de deux mois, souvent lors d’une cérémonie supervisée par des anciens. Il s'agit presque d’un acte de bienvenue dans le monde des Ijaw, où l'eau est omniprésente. Cheif Tansemi le résume ainsi : "L'eau est notre mère nourricière, elle nous donne à manger et à boire. L'enfant doit apprendre à la connaître."
Osun et les divinités fluviales Yoruba
Chez les Yoruba, les rituels autour des rivières prennent une autre tournure. Là où les Ijaw plongent leurs enfants dans l'eau pour des raisons pratiques et culturelles, les Yoruba y voient un acte hautement spirituel. En particulier, dans l'État d’Osun, la rivière Osun n’est pas qu’une simple étendue d’eau ; c’est la demeure d’Osun, la déesse de la fertilité et de la prospérité. Les rituels fluviaux ici ne sont pas seulement symboliques, ils sont une supplication à cette divinité pour qu’elle bénisse et protège l’enfant. C’est une pratique largement répandue et vénérée, surtout lors du festival d'Osun-Osogbo, où des milliers de pèlerins viennent honorer la déesse.
Comme le raconte Oloye Ifayemi Elebuibon, un des gardiens de la culture Yoruba, "Plonger un bébé dans la rivière Osun est une manière de le relier aux forces spirituelles de notre peuple. Il s'agit d’un baptême sacré sous la protection d’Osun, la mère de la fertilité."
Spiritualité et symbolisme : un lien indissociable
Les deux pratiques, bien que différentes dans leur exécution et leurs raisons, révèlent l’importance de l'eau comme lien vital et spirituel pour ces communautés. Que ce soit pour introduire un enfant à l’environnement aquatique chez les Ijaw ou pour le bénir avec la protection divine chez les Yoruba, l’acte d’immerger un enfant dans une rivière dépasse largement la simple tradition : c’est une manière de perpétuer une croyance ancienne où l'eau est à la fois la source de vie et un passage vers le spirituel.
Les Ijaw, historiquement descendus des Oru, un peuple migrateur originaire de la vallée du Nil, ont façonné leur existence autour des voies fluviales du delta du Niger. L’eau est ici synonyme de survie, de prospérité, mais aussi de protection. Ce lien indéfectible avec les rivières a été transmis de génération en génération, dans des communautés où l’on se méfie des innovations modernes, mais où l’on respecte les traditions ancestrales.
Pour les Yoruba, la rivière est plus qu’un environnement naturel, c'est le corps même d’Osun, une divinité qui veille sur ses enfants. Cette symbolique a perduré à travers les âges, et plonger un bébé dans une rivière sous l’égide d’Osun, ce n’est pas simplement le baigner dans l'eau. C’est lui offrir la bénédiction d'une force divine qui protège et guide.
Quand la tradition se heurte à la modernité
Mais comme pour de nombreux rituels anciens, cette pratique ne fait pas l’unanimité aujourd'hui. À l’heure où les tests ADN et la médecine moderne battent en brèche les croyances spirituelles, certains doutent de la pertinence de ces rites, surtout dans les zones urbaines. Les jeunes générations, souvent éloignées des réalités fluviales et imprégnées des influences globales, se détachent progressivement de ces coutumes.
Certains voient dans cette immersion un test archaïque. Il y a même eu des cas, isolés mais réels, où cette tradition a été utilisée pour vérifier la légitimité ou la paternité d’un enfant : si le bébé flotte, alors il est "légitime". Si ce genre de pratiques est en voie de disparition, elles continuent de hanter certains esprits.
Entre tradition et modernité, que devient ce rite ?
Le rituel des bébés plongés dans les rivières chez les Ijaw et les Yoruba nous rappelle la complexité et la richesse des croyances africaines. Dans ces communautés, l’eau n’est pas juste un élément ; elle est une force, une mère protectrice et un lien avec le divin. Si cette pratique peut sembler étrange, voire barbare, aux yeux de ceux qui ne la comprennent pas, elle est pour ces peuples un acte sacré, destiné à protéger et guider leurs enfants dès leurs premiers instants de vie.
Cependant, comme beaucoup de pratiques culturelles dans un monde en rapide mutation, cette tradition fait face à des défis croissants. L’avenir dira si elle continuera d'être pratiquée, ou si elle disparaîtra progressivement avec l’éloignement des jeunes générations des croyances ancestrales. Ce qui est certain, c’est que, pour ceux qui la pratiquent encore, cette tradition représente bien plus qu'un simple plongeon dans l'eau : c’est un lien avec les ancêtres, avec les esprits, et avec l’essence même de leur culture.
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