Ruto tend la main à Haïti : rencontre avec le Premier ministre pour une mission africaine en terre caribéenne
Le président kényan William Ruto a accueilli, à Nairobi, le Premier ministre haïtien Ariel Henry pour une rencontre inédite. Au cœur de cette réunion : le déploiement d'une force de sécurité kényane en Haïti afin d’aider le pays à restaurer l’ordre face aux violences des gangs armés qui sèment la terreur dans les rues de Port-au-Prince et d’ailleurs. Cette initiative, soutenue par les Nations unies, marque un moment clé pour la diplomatie kényane et questionne le rôle grandissant de l'Afrique dans la résolution des crises internationales.
Haïti en détresse, le Kenya à la rescousse ?
Les rues de la capitale haïtienne sont devenues le théâtre d'une violence insoutenable. Les gangs contrôlent jusqu'à 80 % de Port-au-Prince, et l'État haïtien est à genoux, incapable de reprendre le contrôle. Les enlèvements, les violences sexuelles et les assassinats sont le lot quotidien de millions de personnes piégées dans un climat de terreur. Ariel Henry, souvent critiqué pour son incapacité à restaurer l’ordre, voit dans l’intervention internationale une bouée de sauvetage pour son pays.
C'est dans ce contexte de désespoir que le président Ruto a pris la décision de répondre à l’appel d'Haïti. En juillet 2023, le Kenya a proposé d’envoyer une force de police de 1 000 hommes pour épauler les forces locales, une démarche approuvée par le Conseil de sécurité de l’ONU début octobre. Pour Nairobi, cette initiative n’est pas seulement un geste humanitaire, mais un signal clair du rôle que le Kenya entend jouer sur la scène mondiale : celui d’un acteur capable de mener des interventions décisives au-delà de ses frontières régionales.
Ruto a saisi cette occasion pour réaffirmer l'engagement de son pays à promouvoir la paix et la sécurité, tout en appelant à un soutien financier et logistique international pour garantir le succès de la mission. Il a également souligné que la contribution du Kenya n'était qu'une partie d'une stratégie globale visant à redonner à Haïti une stabilité durable.
Les enjeux politiques et sécuritaires de l’intervention kényane
Si le geste du Kenya peut sembler altruiste, il ne faut pas négliger les ramifications politiques de cette intervention. Pour le président Ruto, il s’agit de renforcer l’image du Kenya comme un pivot de la sécurité en Afrique et au-delà. Après avoir joué un rôle crucial dans les efforts de médiation en Éthiopie et au Soudan du Sud, Nairobi cherche à étendre son influence en dehors du continent africain.
Cependant, l’intervention en Haïti comporte de nombreux risques. Le pays est un véritable bourbier sécuritaire où les missions de paix internationales ont souvent échoué. La dernière grande intervention des Nations unies, menée de 2004 à 2017 sous la forme de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH), s'est soldée par des accusations de violations des droits humains et de propagation du choléra. En acceptant de diriger une nouvelle force en Haïti, le Kenya prend le risque de voir son propre contingent s’embourber dans un conflit complexe, où les gangs armés sont parfois mieux équipés que les forces de l’ordre.
Le président Ruto devra aussi gérer les critiques internes, certains Kényans estimant que leur gouvernement devrait d'abord régler les problèmes de sécurité nationale avant de se lancer dans des aventures à l'étranger. La menace des attaques terroristes d'Al-Shabaab et les conflits ethniques dans le nord du Kenya représentent encore des défis majeurs pour le pays.
La diplomatie africaine face aux défis mondiaux
L'initiative kényane ouvre aussi une nouvelle ère pour la diplomatie africaine. Habituellement relégués à la réception d'aides ou à des rôles secondaires dans les missions internationales, les pays africains montrent désormais qu'ils peuvent être des acteurs proactifs dans la gestion des crises mondiales. Le Kenya ne se contente plus d’accueillir des négociations sur son sol ; il exporte également sa vision de la paix et de la sécurité. Cette intervention en Haïti marque un tournant pour le continent, offrant un contre-narratif à la traditionnelle représentation des nations africaines comme des récipiendaires passifs des interventions occidentales.
Pour Ariel Henry, cette rencontre avec Ruto à Nairobi revêt une importance stratégique. Il cherche à obtenir le soutien de la communauté internationale pour stabiliser son pays, mais aussi à légitimer son gouvernement, contesté par une opposition qui le qualifie d’illégitime. En s’alliant avec le Kenya, il espère montrer qu’il est prêt à tout mettre en œuvre pour ramener la paix, même si cela signifie faire appel à des forces étrangères.
Cependant, il reste à voir si l'intervention kényane pourra apporter des solutions concrètes aux problèmes d'Haïti, profondément enracinés dans des décennies de mauvaise gouvernance, de pauvreté extrême et d'ingérences étrangères répétées. Les défis sont immenses et l'histoire des interventions internationales en Haïti est remplie d’échecs. Pour que cette initiative soit couronnée de succès, elle devra non seulement se concentrer sur le rétablissement de l’ordre, mais aussi sur le soutien aux institutions locales et la mise en place de programmes de développement à long terme.
Entre espoir et scepticisme : quel avenir pour Haïti ?
L’intervention du Kenya, bien que saluée par certains comme une démarche courageuse, suscite aussi un certain scepticisme. Les Haïtiens eux-mêmes ont souvent exprimé leur méfiance envers les interventions étrangères, perçues comme des formes de néocolonialisme déguisé. Cette méfiance est compréhensible, surtout lorsque l’on considère les antécédents de missions internationales dans le pays, qui ont parfois aggravé la situation.
Il est clair que pour le Kenya, cette mission est une opportunité de redorer son image sur la scène mondiale et de consolider sa position en tant que leader en matière de sécurité en Afrique. Pour Haïti, c’est un pari risqué qui pourrait soit aider le pays à tourner une page sombre de son histoire, soit raviver de vieilles blessures.
En tout cas, cette rencontre entre William Ruto et Ariel Henry marque un moment charnière pour les relations entre l'Afrique et la Caraïbe. Le déploiement des forces kényanes en Haïti symbolise un renversement de tendance : l'Afrique, longtemps objet d'interventions internationales, s’affirme désormais comme un acteur capable d'apporter des solutions aux problèmes globaux.
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